Ce qui a motivé la rédaction de cet article est le magnifique reportage sur le massif du Mont Blanc et tous ses mystères,vu sur Arte hier soir(dépêchez-vous de le revoir sur Arte+7).
Ce documentaire a fait remonter en moi des souvenirs très forts.
Le jour J fut le 24 juillet 1986 et ce ne fut pas une promenade de santé.Comment ai-je eu l'idée de monter "tout là-haut" ,me direz-vous ?
Et bien,quelques années auparavant,je faisais une randonnée avec des amis et tous nos enfants en Vanoise.Nous avons dormi dans un gîte et comme vous le savez si vous l'avez pratiqué,tous les promeneurs mangent à la même table et discutent souvent avec bienveillance.Près de moi il y avait un couple qui montait le lendemain au sommet du Mont Pourri .Nous avons échangé sur l'intérêt de la rando mais aussi de l'alpinisme et de la glace.
Le lendemain matin,dès que tout mon petit monde fut près,nous sommes sortis du gîte et , en levant la tête,je vis,à la jumelle distinctement,très haut,très loin, mon couple d'hier sur l'arête finale du Mont Pourri (3800m) et j'ai eu une drôle de sensation:la sensation qu'il me manquait dans ce monde une dimension,que la montagne à vaches c'était bien mais que là-haut,plus près du ciel,on devait avoir la sensation d'être un oiseau et d'être dans un autre monde.
Le lendemain,je m'inscrivais à une école de glace.Le Mont Pourri a bien entendu été ma première course,une course magnifique que je conseille toujours et que j'ai refait par la suite par une autre voie,puis,tous les 3 jours un autre sommet était au programme.J'ai ainsi écumé tous les beaux sommets du massif de la Vanoise puis du massif du Mont Blanc,en compagnie d'un Anglais rencontré au cours de ma première sortie et avec qui j'avais sympathisé,et nous avons,pendant 5 ans,été accompagnés à chaque course, par le même guide auquel nous nous étions attachés malgré son caractère bourru. ("en haut,on ne parle pas pour ne rien dire",nous disait-il) mais en qui nous faisions toute confiance.
Un de mes plus beaux souvenirs fut sans doute les arêtes de Rochefort (photo) mais c'est du Mont Blanc que je voudrais vous parler.
J'ai tout entendu sur le Mont Blanc:facile,difficile,fastidieux....
En réalité l'ascension est techniquement assez facile mais physiquement très très difficile pour deux raisons:
- l'altitude bien sûr avec les maux de tête et les nausées ou les vomissements (un Japonais,c'est jaune, mais un Japonais malade et vomissant au refuge Vallot c'est vert)
- mais aussi la fatigue par accumulation.Il y a tout d'abord le départ à la sortie du tramway de Saint Gervais (2372 m) avec l'ascension du nid d'aigle,très dangereux par les chutes de pierres, avec une ascension verticale jusqu'au refuge du goûter (3835m soit 1500 mètres de dénivellé faits sans doute trop rapidement). Nous sommes arrivés tous les trois vers 20 h .Nous avons dîné ,et , vers 22h , nous sommes allés dormir dans le dortoir.Enfin,dormir,c'est beaucoup dire,car tous les 10 minutes il y avait un nouvel arrivant avec la porte qui grince et l'énervement et l'inquiétude du lendemain ajoutaient à l'insomnie.
Le lever se fit à 2 h du matin pour un départ à trois heures,à la frontale,pour essayer d'être au lever du soleil en haut.Montée silencieuse,uniquement troublée par les bruits de la respiration et du souffle court .L'arrivée en haut fut spirituellement un moment fort et,pendant une demie heure et un petit déjeuner solide ,la joie,la sérénité furent au rendez-vous?Nous planions véritablement. Puis ce fut la descente à pied,intégrale,avec arrivée, épuisés,vers 16 heures à Chamonix.(mon ami Anglais avait mal aux pieds et voulait s'arrêter sans arrêt ,il retirait ses chaussures à chaque arrêt,le guide râlait et même hurlait car il connaissait les dangers,et une explosion de séracs énormes à 400 mètres , avec des blocs impressionnants qui dévalaient , heureusement pas vers nous, nous a fait accélérer le pas et je n'ai plus entendu mon copain de cordée,car l'après midi,en juillet,cela fond !!)Tout ces efforts pendant deux jours, sans sommeil,m'ont anéantis.Je suis rentré à l'appartement,mon épouse et mes enfants ,alors petits , m'ont demandé de raconter et je me suis endormi tout habillé en parlant.
Tout cela c'est pour l'anecdote mais qu'en ai-je tiré me direz-vous et quelle est la sensation quand on est sur le toit de l'Europe ? Et bien ce que je retiens surtout c'est,après les accolades,le silence général qui dura très longtemps avant l'explosion de joie et la véritable libération des esprits,auparavant bridés par la peur de l'échec .Bien entendu ce fut la satisfaction d'y être parvenu qui dominait mais en réalité ce fut beaucoup plus que cela.On pense à tous les alpinistes des siècles passés qui se sont cassé les dents ,on pense à toutes les croyances que ce massif a engendrées,on pense à Balmat et Paccard qui ont gravi le sommet en 1760 et surtout on est serein,très serein.Et bien entendu,cette domination par l'altitude n'est pas étrangère à l'addiction des alpinistes qui donne un sentiment ,non pas de dominer,mais de surplomber le monde et cela doit booster nos neurones dans le sens de l'optimisme et pour moi du spirituel athée.
Je devais remonter le 7 septembre 2009 avec mon ami Jean Marc,bien préparés (nous devions redescendre en parapente),mais le 5 septembre ,deux jours avant , j'ai fait une chute de moto très sérieuse et j'ai dû abandonner l'idée de recommencer.
En 1988,au cours d'une sortie assez banale,mon ami Anglais a dévissé sur une pente assez raide et le guide (toujours le même) a eu un réflexe étonnant pour nous retenir avec sa corde et son piolet planté en une seconde dans la neige et la glace.Mon ami est resté "suspendu" à ma corde.J'ai pris peur,nous sommes rentrés et j'ai abandonné instantanément après 5 années de bonheur,un bonheur d'air pur,un bonheur des sommets,un bonheur dangereux.
Bises
Celui qui a grandi dans la montagne,il peut bien pendant des années étudier la philosophie et faire table rase des vieilles croyances : quand il sent à nouveau le foehn ou entend une avalanche dévaler à travers le bois,son coeur tremble dans sa poitrine et il songe à Dieu et à la mort.
Hermann Hesse