J'ai déjà écrit sur le grand Jacques qui a été une de mes idoles de jeunesse avec Brassens et Barbara,les 3 B, mais aussi Reggiani,Ferré et Ferrat.
J'ai joué à la guitare et chanté "Grand Jacques "ou "il pleut",les premières chansons de Brel et je ne peux m'empêcher de vous narrer ma rencontre avec Brel qui date de 1961.J'étais pensionnaire au Lycée Clémenceau à Reims et mon cher Jacques est venu au cinéma l'Empire en pleine semaine.J'ai alors décidé avec un copain de faire le mur et d'aller assister au récital de Brel.Faire le mur,à l'époque , était frappé d'exclusion définitive(cela m'est arrivé souvent et souvent pour aller voir des artistes).Après l'escalade du grillage,derrière le gymnase,les billets en poche (que j'avais eu la précaution d'acheter longtemps à l'avance),nous sommes arrivés place d'Erlon et nous sommes entrés dans ce qui était à l'époque un cinéma.L'ouvreuse (et oui il y en avait à cette époque) nous a accompagnée à notre place et notre sourire béat s'est instantanément transformé en rictus crispé : nous étions placés devant le surveillant général du lycée qui nous connaissait bien et savait pertinemment que nous aurions du être au lycée. J'avoue à postériori que cela nous a un peu gâché la fête,surtout en attendant le spectacle , mais aussi pour nous endormir.
Après un récital extraordinaire que seuls ceux qui ont vu Brel sur scène peuvent comprendre je suis allé dans les loges pour le rencontrer (à cette époque on ne doutait de rien et on pouvait visiter les artistes,surtout ceux qui ,comme Brel,étaient accessibles)A ma question : pourquoi ne faites vous jamais de "bis" à la fin du spectacle,il m'a répondu : "quand un ouvrier a fini sa journée,on ne lui fait pas faire des heures supplémentaires s'il n'en a pas envie". Car Brel n'aimait pas la scène,il en vivait mais n'aimait pas se montrer en spectacle.
Mon histoire n'est pas finie car le lendemain matin,après être rentré dans la nuit au lycée,mon pote et moi avons été appelés au bureau du surveillant général.Il nous a demandé si on avait aimé le spectacle et vous nous imaginez dans nos petits souliers.Et tout à coup,alors que j'entrevoyais mon expulsion,le "surjet" nous à dit:"vous voyez mes chenapans,vous méritez que je vous fasse renvoyer du lycée et je l'aurai fait pour tout autre motif et tout autre artiste;mais Brel est sacré pour moi et deux petits cons (pourtant j'étais déjà grand!!) qui font le mur et risquent beaucoup uniquement pour voir Brel ne doivent pas être mauvais!!!
Ce soir,j'ai chanté toutes les paroles que je connais par coeur,j'ai eu la chair de poule,j'ai eu quelques larmes dans les yeux en pensant à mes parents,des fous de Brel,j'ai revu le saut du grillage du lycée avec mon pote,le dortoir,mon Teppaz avec les pochettes des 45 tours,bref,j'ai fait un tour rapide de ma jeunesse et c'est toujours émouvant.
Le documentaire fut sympa et vrai.J'ai revu un homme libre, un peu anar,franc sur la vieillesse,sur l'argent, avec un rapport au sexe féminin difficile.Mais j'ai revu avec plaisir un homme qui vivait ses chansons,qui les mimait,dans une forme d'hystérie théâtrale qui le mettait dans un état second.J'ai pris une bouffée de jeunesse,une bouffée de chansons que j'ai fredonnées toute ma vie et que je chante encore.
Pour ceux qui doutent de l'intensité de la chanson vécue je vous mets "La fanette" ainsi que "Tant qu'on a que l'amour" et puis pour les gourmands "Amsterdam"