J'ai passé mon temps , pendant mon activité de médecin de famille ou médecin de campagne ,comme vous voudrez,à expliquer la douleur morale à mes patients concernés et à leur famille.
La souffrance psychique est avant tout un vécu : la personne ressent diverses formes de souffrance. Celles-ci se vivent avec plus ou moins d’intensité.
Parfois, ce vécu est de l’ordre du diffus. Il est alors difficile à vivre, car ardu de mettre le doigt dessus pour l’arrêter. En un mot, parfois il est impossible de localiser cette sensation pour la raccrocher au corps. Dans ce cas, on parle plus de mal de vivre, d'être mal dans sa peau,de détresse morale, etc. Tout le monde peut comprendre alors ce qu’est une souffrance psychique, ou souffrance psychologique.
D’autres fois, ce vécu est plus concret : on ressent alors une boule, quelque part. Par exemple une boule au ventre, quand on se sent stressé au réveil le matin. Cela peut être aussi une pression, au niveau de la gorge, ou sur la poitrine. Nous raccrochons aisément cette sensation au corps. Mais on ne peut pas se faire opérer d’un stress, d’une boule d’angoisse, etc. Tout le monde sait que si l’on découpe le corps, nous n’y trouverons pas la boule d’angoisse
J'ai toujours expliqué que la douleur morale était beaucoup plus insupportable que la douleur physique.En effet,je ne connais pas ou peu de personnes ayant voulu mourir à la suite de douleurs du corps, soit accidentelles soit par maladies telles que les métastases osseuses qui sont si douloureuses à chaque mouvement.J'ai entendu des patients dire qu'ils préféreraient la mort mais j'en n'ai rarement vu passer à l'acte.Je ne parle pas des soins palliatifs qui correspondent à la fin de vie et qui ne sont donc pas concernés par mon article.
Il en va tout autrement des douleurs morales,des dépressions extrêmes,des gens qui sont au fond du trou sans lueur d'espoir,des personnes qui ne dorment pas et qui se lèvent la boule au ventre avec l'espoir de ne pas assister à la journée qui pointe son nez et , le plus souvent,qui vont un peu mieux au fur et à mesure que la journée se déroule.
En effet j'ai vu beaucoup de suicides ou de tentatives de suicides dues à cette âme rongée par le désespoir et la douleur.Beaucoup parlent d'appel à l'aide quand on assiste à l'ingestion de quelques comprimés mais savent-ils quelle souffrance a amener cette personne à passer à l'acte.Il ne faut jamais négliger ce genre de patient.Est-ce une pathologie vraie ? sans doute car pour moi,à partir du moment où le corps ou la tête fonctionne mal,on est dans le pathologique.
Il est difficile d'expliquer cette souffrance à quelqu'un qui va bien.En effet,les gens comprennent très facilement la tristesse mais ,n'ayant jamais été confronté au problème,ne savent pas de quelle ordre est la douleur morale qui se traduit le plus souvent au niveau de l'abdomen,là où le nerf sympathique a le plus de ramification.
Vous avez toutes et tous eu un jour mal au ventre avant un examen,un permis de conduire,une rencontre importante quelle qu'elle soit,avec même quelques fois un peu de diarrhée et bien c'est dû à notre cher et tendre ami,le nerf sympathique (pas si sympa que cela !) qui s'active et ces douleurs abdominales passent comme par hasard après l'examen.
La douleur morale c'est cela en continu,avec une véritable boule au ventre comme je l'ai déjà dit,souvent "métaphorisé"par les nerfs en pelote ,mais de façon beaucoup moins superficiel car au plus profond de l'être.Cette douleur est tellement insupportable qu'elle fait sauter ceux qui en souffrent par la fenêtre et ce n'est jamais du premier étage.
Bien entendu,toutes les personnes qui souffrent de cette pathologie ne se suicident pas,heureusement, mais beaucoup sont en souffrance permanente pour diverses raisons qui vont de la séparation,du décès,de la maladie d'un être cher,de problèmes au travail,mais aussi quelquefois d'un traumatisme psychologique lointain ou d'une souffrance psychologique chronique ancienne.
Avec un peu d'humour et quand je vois les footballeurs se tordre de douleur sur le terrain en se roulant par terre,je dirai que je ne parle pas des simulateurs car cela existe et j'en ai vu,non,je ne parle pas de ceux qui passent leur temps à se plaindre mais je parle de ceux qui se cachent pour souffrir car il est rare d'exposer sa douleur morale et dans notre société il est de bon ton de faire bonne figure si vous ne voulez pas passer pour un emmerdeur ou un empêcheur de tourner en rond.
Quand vous êtes victimes d'une douleur physique,même la pire,les médicaments sont toujours là pour vous apaiser mais en cas d'angoisse qui vous enserre tout le corps comme un boa,les médicaments ne sont pas toujours très actifs car le dosage et les indications sont subtils et bien différents d'un individu à l'autre et les échecs thérapeutiques sont fréquents.C'est là que l'aide psy,qu'elle soit professionnelle ou amicale ,est nécessaire avec un entourage apaisant sur lequel vous pouvez compter.J'ai souvent jouer ce rôle dans ma vie ,par conscience professionnelle bien entendu mais beaucoup plus souvent par empathie.
La question qui m'a souvent été posée correspond à un diagnostic,car dans notre société,tout doit être étiqueté: dépression ou anxiété ??? That is the question !! la réponse est difficile car, comme je l'ai dit plus haut,chaque cas est différent mais le début est toujours généré par l'angoisse qui monte,petit à petit,avec ses tentacules qui vous étouffent et alors,la dépression est quelquefois très proche.
J'espère que cet article vous aura éclairer et aura permis de comprendre certains de vos proches, même si cet article n'est pas très fun mais je sais que beaucoup de monde est concerné par ce problème, directement ou indirectement.
Bises et bonne soirée.
Plus le développement des individus les mène à l'empathie,plus l'intelligence collective invente des mondes virtuels et plus nous éprouvons le malheur des autres et l'angoisse de l'inconnu. Nous pouvons donc prévoir en toute certitude le développement mondial de l'angoisse et de la dépression.
Boris Cyrulnik