Après l'assassinat du prof d'histoire j'ai foncé vers mon ordi pour écrire un article que je voulais intituler : "il y en a marre " !! mais je ne voulais pas réagir à chaud comme tous les journalistes qui lèvent les bras au ciel uniquement de façon réactionnelle et vous réserver une analyse plus réfléchie.
Je me suis alors allé dans mes pensées et dans mes souvenirs de jeunesse ,avec toute la tranquillité qui nous habitait et ma mémoire est remontée petit à petit (c'est long,très long !),et ces souvenirs parleront aux habitants de Picardie et en particulier à Beaurieux où j'ai passé toute ma jeunesse.
Beaurieux (qui veut dire Beau Rivage) est situé dans le sud de l'Aisne,coincée entre la rivière Aisne,un cours d'eau comme on aimerait tous en avoir un près de chez soi (j'ai maintenant la Durance,cette rivière folle) et le chemin des Dames,haut lieu de la guerre 14/18.
Beaurieux est situé en flanc de colline avec une partie basse plus récente et une partie haute ancienne avec une côte de 11% entre les deux sur plus d'un kilomètre si on en compte la totalité.
Beaurieux était un village de 560 habitants(aujourd'hui 815) avec,tenez vous bien à l'époque: un docteur(Ammerich),un pharmacien(Bosserpuis Ollivier),un percepteur(? car on ne payait pas d'impôt dans la famille),un notaire(Rousselot),un vétérinaire(Campenet),un Crédit Agricole,un quincailler(Thirion),un marchand de matériaux(Baudoux),un boucher(oubli),un charcutier (Duplan),un boulanger/Pâtissier(Jacques Bier et Simone),un coiffeur (mon père) , une coiffeuse (ma mère) un marchand de tabac(Nicolas),un marchand de chaussures(Threis),deux épiceries,un garage avec station service(Boudin puis Couzinier),un menuisier(Picoux),une entreprise de battage du blé,(Cugildi) quelques agriculteurs,une poste(Saintives) qui distribuait tous les villages autour,un réparateur de vélo (Fidèle) , un Forgeron (Raymond et Maurice)Je vous mets tous les noms pour vous montrer que ,gamin,ces personnes avaient une grande importance pour nous et ont jalonné toute notre enfance.
Je dois en oublier mais vous comprendrez que l'on avait tout ou à peu près tout dans ce merveilleux village où la tranquillité était un fil conducteur,où les enfants se baladaient seuls dans les rues,où on allait, gamins,dans les bois situés tout autour,où on allait à la rivière chaque jour de l'été car c'était NOS seules vacances.
Nous habitions dans le bas du village ,ce qui explique mon goût pour le vélo car il fallait monter la côte plusieurs fois par jour pour retrouver tous les copains.Et se taper une côte de 11%, X fois par jour forge les mollets,en tout cas beaucoup plus que l'ordinateur ou la tablette.
Je me souviens de la neige et du traineau que mon père m'avait confectionné,des descentes dans les pâtures gelées de la famille Meuleman ,chemin du jeu de paume.
La rivière a fait partie intégrante de ma vie puisque j'y ai appris à nager avec une botte de roseaux sous les bras.Mon père retirait petit à petit les roseaux pour n'en laisser qu'un (que je croyais efficace) avant de partir seul.
Mais c'était surtout la pêche qui nous attirait.Mon père préparait une "place " avec un pain de chènevis (en réalité des graines qu'il confectionnait dans la semaine).Il prenait sa vieille barque en bois et choisissait un coin,près des roseaux où les coulées étaient faciles.Le week end , nous nous levions à 4 h du matin,nous marchions de nuit jusqu'à la rivière et nous étions sur place au lever du jour,nous arrivions doucement avec la barque sur la place choisie,nous mettions un poids de chaque côté dont la chaîne glissait jusqu'à toucher l'eau et la journée débutait pour aller jusqu'au coucher de soleil.J'avais moins de 10 ans.
Vous imaginez un gamin remuant comme moi qui n'avait pas le droit de bouger de tout une journée: compliqué sans se faire enguirlander.Mais ça avait le mérite d'apprendre une chose: la patience.
Le premier poisson était destiné à la gaule à brochets car rentrer à la maison avec un gros brochet était un acte de vainqueur mais aussi un repas formidable,fait au four et au vin blanc.
L'eau était claire car non polluée et le fond apparaissait à presque 2 mètres de profondeur,les nénuphars et leurs magnifiques fleurs créaient un paysage bucolique ,les roseaux ou joncs,peuplaient la rivière en bandes grâce à leurs rhizomes et les arbres tombaient jusque dans l'eau ,laissant ça et là des "places "où les pêcheurs sans barque trouvaient leur bonheur.Le pique nique était attendu mais ,se passant toujours dans la barque,il se faisait en silence,à mon grand dam.
Nous rentrions toujours avec le vivier plein et quelquefois avec un beau brochet et ma maman passait sa soirée à gratter et j'entendais la friture des petits poissons qui frémissait dans la poêle.Si je vous raconte mes souvenirs,ce n'est pas pour vous infliger ma vie ni pour faire de la nostalgie car toutes les périodes de ma vie ont été formidables,ayant eu plusieurs vies très différentes,non,c'est pour essayer de comprendre comment cela a t-il pu dégénérer ,quand notre société a t-elle basculé dans la peur pour les enfants et quand ces même enfants ont abandonné la nature pour les écrans.
Je pense que l'info en continue,la montée en épingle des crimes a changé notre société alors qu'ils existaient bien avant mais qu'ils ne restaient connus que dans la région concernée.Cela a commencé avec l'affaire Grégory,rappelez-vous,une médiatisation sans équivalent et les parents sont devenus inquiets ,très inquiets,trop inquiets,et les enfants ne sont plus sortis.Je me souviens que , gamin,on rachetait les vieilles motos (Motobécane,Peugeot) et on se baladait dans les chemins pour atterrir,et le mot n'est pas trop fort,car sur ce terrain de cross,nous décollions pour quelquefois atterrir lourdement.Je suis retourné il y a 4 ans sur le terrain de nos exploits ,tout est abandonné et le Maire actuel,le bon Jean Paul,m'a dit que les jeunes étaient tous devant leur ordi et que tout cela était terminé depuis longtemps.
Je pense que cet article n'intéressera que les gens de ma génération et surtout ceux de Beaurieux et que je passerai pour un vieux schnok pour les jeunes,mais j'assume car l'activité physique est source de santé,alors que l'ordi et l'inactivité sera source d'obésité et de troubles musculo-squelettiques graves.
Enfin,que dire de l'aspect psy de ce changement de régime,si j'ose m'exprimer ainsi,ou si vous voulez de ce changement de société car la vie au grand air,sans stress,permet d'avoir une aération maximum des neurones,une vraie vista de la nature,un optimisme dû aux fleurs,aux arbres,aux rivières,aux montagnes, toutes ces choses qui provoquent et qui construisent un bonheur interne,car nous faisons partie intégrante de cette nature et ça,nous l'avons très bien compris dans nos balades où qu'elles soient et où qu'elles aillent.Nous reconstituons ce temps lent,ce temps en harmonie avec la nature,dans nos randonnées en tandem où les chemins sont rois,où une fleur ou un paysage nous comblent et nous font stopper pour respirer le temps d'un instant le privilège de pouvoir,avec assez peu,continuer de profiter ,comme jadis à la rivière,d'un temps long ,entourés de ce que nous aimons le plus:la Dame Nature.
Bises à toutes et à tous
PS:je vous mets 2 photos: une de moi avec 2 brochets et une avec une vieille Motobécane retrouvée chez mes parents (en voulant épater Claudine) et retapée avec mon ami Jean.(j'avais une belle barbe)
Lagrive 06/12/2020 12:43
BIER 06/12/2020 10:50