Un petit rongeur me lamine le cerveau en permanence, surtout la nuit, et je sais que je n'en ai pas fini, que je n'en n'aurai jamais fini, mais,avant de me refermer sur ma coquille de souvenirs personnels, je voudrai faire un dernier article sur les souvenirs communs que j'ai eu avec mon fils Thierry, pour vous expliquer un peu la douleur d'aujourd'hui et sans doute de demain, cette brûlure qui essore et rougit mes yeux en pensant à tous ces merveilleux moments passés ensemble.
L'aventure a été un dénominateur commun et le fils "tirait la bourre " au père , car selon Freud, le fils doit tuer le père,au sens figuré, bien entendu , c'est à dire le dépasser, pour devenir un homme !!
C'est à l'adolescence que la concurrence a été la plus forte avec les descentes de montagne en VTT (qui ira le plus vite ?) le ski,bien entendu avec le chronométrage lancé, le surf en poudreuse (ceux qui ont pratiqué la Cime Caron à Val Thorens hors piste comprendront) , les ascensions en glace comme les 3800 mètres du Mont Pourri, l'escalade en rocher à plus de 3000 mètres (quelle trouille j'avais eu), le Rafting sur l'Isère en crue (30m3/s) mais aussi l'Hydrospeed sur les 24 km de descente, le canyoning à une période où ce n'était que très peu pratiqué , le tennis, la rando, le vélo etc etc... MAIS je voudrai surtout vous narrer notre voyage en moto dans le désert, un périple inoubliable pour nous deux, car nous nous sommes retrouvés, seuls, jour et nuit, face aux difficultés de l'aventure et son inconnu.
Il était en deuxième année de médecine et je lui ai proposé un périple incroyable: nous étions "motard" tous les deux et nous avions la même moto, un DR 800 , pour les connaisseurs, un gros monocylindre que nous avions préparé pour le sable du désert.
Nous sommes partis de la maison,de Lesdins, en Picardie, pour une petite rando de 8000 km environ, avec les pièces de rechange, un pneu, des chambres à air, un réservoir d'essence de dépannage,une bonne centaine de pâtes de fruits et encore plus de barres hyperprotéinées qui deviendront importantes, des combinaisons d'hiver car nous étions fin février et il fallait traverser l'Atlas.
Jusqu'à la traversée de la Méditerranée , tout se passa bien.Thierry était devant,il était mon guide. Les complications sont arrivées à la douane Marocaine.Nous avons attendu 6 heures avant de récupérer nos passeports.Thierry ne voulait pas que je donne de bakchich, par principe , mais j'ai fini par craquer et le faire alors qu'il dormait sur le sol de la rue et nous avons pu reprendre notre chemin.
La traversée de l'Atlas fut une surprise: la neige était au rendez-vous.(photo)L'épaisseur augmentait au fur et à mesure que nous montions et j'avais beaucoup de mal à tenir ma moto.Nous étions prêt à rebrousser chemin pour attendre des jours meilleurs quand, au loin,très loin, une moto venait vers nous du fond de la vallée. C'était un Alsacien, seul, qui partait en Afrique du Sud sur une BMW GS!!! les rencontres sont quelquefois incroyables !!
À trois,le moral est vite revenu et ils sont partis tous les deux en reconnaissance pour explorer ce que moi, le plus faible de la bande , je devais franchir comme difficultés ensuite. En somme , le début de l'entraide !! Nous pûmes franchir ce passage compliqué sans trop de problèmes. Nous avons fait les jours suivants quelques centaines de km ensemble dans les sentiers terreux avant de nous séparer à regret au début du désert.(nous avons eu des news par la suite , il est bien arrivé après avoir traversé toute l'Afrique)
Le désert était devant nous.Nous dormions à la belle étoile mais le désert est brûlant le jour mais très froid la nuit. Nos combinaisons nous ont servies de sac de couchage. Les pâtes de fruits ont été bien utiles car , nous rencontrions de minuscules villages, faits de 3 ou 4 maisons en torchis ou campements de Bédouins avec quelques dromadaires qui broutaient les maigres herbes (nous en avons ramené une petite touffe , photo) mais , ce que j'avais oublié,c'est que notre périple se faisait pendant le Ramadan, erreur impardonnable de ma part.Les barres hyperprotéinées nous ont bien dépannées.
J'arrête là mon histoire car le plus intéressant reste sans doute dans la philosophie du voyage et non dans la destination car , ensuite, aucune dispute, que du bonheur partagé entre le père et le fils, une aventure de deux êtres qui s'aiment et qui n'avaient pu se le dire.Se retrouver, seuls, dans les dunes, allongés, sous le ciel étoilé qui invite à la méditation, à la réflexion, à la confidence, est quelque chose que je souhaite à tous les papas du monde. La moto n'a été qu'un prétexte pour se retrouver seuls, dans l'immensité propice au resserrement des liens.
Je tairai les heures de discussion ,assis autour d'une pâte de fruits ou emmitouflés dans nos combinaisons , allant de l"éducation à la vie, à l'avenir, à la spiritualité, à la médecine, bien sûr avec des avis partagés,lui qui ne voulait soigner que l'esprit et moi, plus cartésien, qui aimait aussi les corps , bref, nous avons refait le monde , notre monde à nous, notre monde à nous deux.
Nous sommes bien rentrés,moi avec 2 vitesses seulement et Thierry avec 3 , sur 6 , si mes souvenirs sont bons, nous sommes arrivés en Picardie sous la neige et l'autoroute A1 a vu passer 2 bolides qui se suivaient et qui chantaient sous leur casques, deux bolides qui ont ensuite suivi chacun leur chemin , mais qui ont toujours su qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre , jusqu'à leur dernier souffle.
L'ordre n'a pas été respecté et le fils a précédé le père au-dessus du désert, parmi ces étoiles que nous avons contemplées toutes les nuits de ce périple mais nous nous retrouverons un jour pour regarder de très haut ces camps de Bédouins si gentils,qui nous ont accueillis alors que nous avions froid.
Je le répète à l'envi: " le vrai tombeau des morts est dans le coeur des vivants "
Ci-joint qq photos souvenirs qui me sont difficiles à regarder