Je viens de terminer de lire un poème de Pierrick Daurces dont la fin m'a beaucoup ému et qui se termine comme cela:
"J'étais bien avec lui et je crois que le pire
C'est de l'avoir aimé sans avoir su lui dire."
J'ai instantanément pensé à mon père que j'ai peu côtoyé dans ma jeunesse et dont les souvenirs de cette époque sont rares mais qui m'a inspiré le respect par sa bonté et sa tolérance quand ,devenu adulte,j'ai repris mes esprits.
C'était un amour non déclaré mais tellement visible et bilatéral que je me demande aujourd'hui comment j'ai fait pour qu'il vienne mourrir dans mes bras sans que je ne lui ai jamais dit : "je t'aime papa".Quelques secondes après,il était trop tard et j'avais mes regrets pour la vie.
Alors bien sûr tout le monde ou presque aime son père et je ne suis pas une exception mais toutes ces années passées en son absence m'ont fait réfléchir mais aussi infléchir mes idées préconçues : car oui on doit dire à ceux que l'on aime précisément cet amour que l'on enfouit sous notre mouchoir car notre génération pensait que c'était un aveu de faiblesse que de le dire et de le crier,que ce soit pour les parents ou pour les enfants.
Mais qu'avait-il de particulier mon père me direz-vous ? et bien quand je l'ai enfin rencontré c'est à dire pendant mes études de médecine (c'est dire que je l'ai rencontré tard) j'ai été frappé par sa gentillesse vis à vis de tout le monde,sa tolérance,son sens de l'entraide ,sa modestie et sa fierté vis à vis de ses enfants:avoir un fils médecin !!! lui qui n'avait pas son certificat d'études,lui qui avait fait mille métiers pour devenir café-coiffeur puis coiffeur ensuite dans un tout petit village de Picardie,traînant la misère pendant très longtemps mais toujours fier.J'ai enfin réalisé les sacrifices qu'il avait fait pour que je touche au but que je m'étais fixé.
Je me souviens que le café-coiffeur,après avoir mis les derniers piliers de bar dehors,vers minuit,prenait son fils qui dormait sur un banc dans ses bras et le ramenait à la maison pour le coucher sans le réveiller(j'avais 9 ans)C'est à peu près le seul souvenir d'enfance un peu tendre que j'ai de lui.
Je me souviens que dans le village on l'appellait Mac Gyver,car il réparait tout et avait une idée sur tous les bricolages difficiles.Je revois les gens passer dans le salon de coiffure et crier à mon père :"René ,comment pourrais-je faire pour bricoler cela ?" il répondait invariablement : "je réfléchis,repasses dans 1/4 d'heure" et il avait toujours la solution.
Je me souviens l'avoir entendu dire ,alors qu'il avait un petit verger qui dominait la vallée de l'Aisne,que régulièrement il s'arrêtait de tondre,il s'allongeait au pied d'un immense poirrier,regardait le magnifique paysage qui s'étalait devant lui et qu'il adorait et s'endormait.
Je sais que son potager,très fertile et très abondant servait aussi à alimenter les petits vieux et petites vieilles du village,bénévolement bien sûr.Je lui disait : " où vas-tu avec ces salades et ces tomates" et il répondait invariablement:" je vais les donner à la mère X... ,elle ne peut plus marcher"
Je me souviens qu'il adorait ses petits enfants et qu'avoir autour de lui toute sa famille radieuse était pour lui un pur bonheur.
Tous les jeudis il venait me rendre visite avec ma mère,dans une vieille R4:80km aller et 80 km retour et cela me faisait peur mais il adorait venir passer la journée avec moi,moi qui était "off" après m'être associé,et on bricolait,on jardinait et il sifflotait du matin au soir (ma voisine savait toujours s'il était là car elle reconnaissait son sifflet,sifflet que j'ai ensuite repris,tous les jours mais qui s'est cassé le 5/9/2009 en tombant de moto) On était très heureux ensemble et je ne me souviens pas,à partir du moment où on s'est "rencontré" que l'on se soit jamais disputé.On travaillait ensemble,on se reposait,on buvait un peu d'eau et on se souriait;c'était peut-être notre façon à nous de nous dire que l'on s'aimait;des rustres élevés à la campagne,des "fort comme un turc" au coeur sensible,très sensible et qui ne "disent" pas.
J'aurai mille souvenirs à raconter de lui ,en particulier sa bonté pour les autres mais aussi l'amitié que les autres lui portaient,cela me permettrait de retarder la fin tragique que voici:
Et puis un jour,à 77 ans,en juin 1997 alors qu'il était dans une forme éblouissante,il a fait un infarctus chez lui ,très tôt,il est allé cherché le pain que j'aimais et qu'il m'amenait chaque semaine, il a pris la route et parcouru ces fameux 80 km dans sa vieille R4 pour venir mourrir chez moi.Chaque fois que j'y pense,comme lors de cet article,j'ai les larmes qui me viennent.
J'étais bien avec lui et je crois que le pire
C'est de l'avoir aimé sans avoir su lui dire.